Un médecin prestigieux Odilon Lannelongue par Geneviève Farret le 12 Mars 2019

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Un médecin prestigieux : Odilon LANNELONGUE, par Geneviève Farret

le 12 Mars 2019

 

Dans la station thermale de Castéra-Verduzan, créée sous Louis XV et aménagée au XIXème siècle par la famille De Pins, est né un des plus grands professeurs de chirurgie de la fin du XIXème siècle : Odilon Lannelongue, lequel a connu une ascension professionnelle et sociale spectaculaire.

Médecin à la force du poignet : le jeune Lannelongue né en 1840. Son père est officier de santé à Castéra, il fait office de médecin mais sans le titre, et n’a pas la possibilité d’exercer en dehors du département. Il sera maire de Castéra en 1870, et meurt en 1873.  Sa mère, une paysanne nommée Antoinette Réchou, décède à 34 ans. Le jeune Odilon poursuit ses études au lycée d’Auch, puis passe son bac à Toulouse avant de monter à Paris pour y préparer Polytechnique, mais il change très vite d’avis et s’inscrit en médecine à 18 ans. Sans famille et sans beaucoup d’argent, il fréquente le café Procope ce qui lui permet de nouer des relations dans le milieu républicain dont il partage les idées. Il rencontre notamment Gambetta, il en devient l’ami. Ce travailleur acharné avance dans ses études qu’il partage avec Clémenceau, et, en 1867, choisissant la chirurgie, il obtient la médaille d’or de l’internat et le titre de docteur, 2 ans après. Il est major à l’agrégation de chirurgie en 1869. Il installe alors son cabinet rue des Saints Pères puis rue Saint Honoré où il bénéficie d’une clientèle choisie.

Lors de la guerre de 70, il exerce en tant que chirurgien rattaché l’Etat-Major de la place de Paris, ce qui lui vaut le titre de chevalier de la Légion d’Honneur, et est nommé chirurgien-major. Ce titre lui ouvre les portes de la haute société. Il a rencontré pendant la guerre une jeune veuve qui avait transformé son hôtel particulier en hôpital. Marie Cibiel qui a perdu son mari Pierre de Rémusat, petit-fils de La Fayette. Marie appartient à une famille bourgeoise enrichie dans le commerce des tissus de Villefranche de Rouergue. Ces notables possèdent de nombreuses résidences : châteaux comme à Najac ou à Valmont en Normandie, hôtels particuliers à Paris, l’abbaye de Loch-Dieu. Ces commerçants et banquiers établis à Rouen et à Paris se distinguent par leur rôle social : finançant la création d’hôpitaux, d’hospices, d’orphelinats, d’écoles… et aidant des artistes comme Bourdelle et Bizet.

A 36 ans Odilon épouse Marie Cibiel de 4 années plus âgée que lui, avec qui il n’aura pas d’enfant. Marie est une grande dame, qui peut au 1er abord, sembler altière, austère aussi, souvent vêtue de noir, très croyante et pratiquante. Elle est calme et équilibrée, d’une grande bonté et, comme sa famille, multiplie les dons à des associations charitables. Elle crée 2 écoles de filles à Fabas, près de l’Isle-en-Dodon et à Lafitte-Vigordane où se trouve le château de la famille de Rémusat. D’ailleurs Odilon se montrera, lui aussi, un ardent défenseur de la cause féminin : c’est le 1er à accueillir des élèves externes femmes dans son service à l’hôpital.

Le mariage sera un mariage heureux, malgré quelques réticences de la famille au départ.

Une carrière prestigieuse : grâce à la fortune et aux connaissances de sa femme et à ses propres qualités, cet homme petit, aunez développé et au teint coloré mais finaud et à l’œil vif et grand travailleur, est capable de s’adapter à tous les milieux comme le prouvent ses fréquentations  aussi bien des Présidents de la République que du Tsar de Russie, de l’impératrice Victoria, ou du Pape. Il est aussi d’une grande bonté, n’hésitant pas à consulter gratuitement les plus démunis, notamment lors de ses séjours à Castéra.

Un an après son mariage, il abandonne la clientèle privée pour l’hôpital et la recherche sur la tuberculose. Il participe également à des travaux de recherche auprès de Pasteur sur la transmission du virus rabique. Sa femme, suivant la tradition familiale finance la 1ère installation de radiographie hospitalière en France. Elle crée également le centre chirurgical Lannelongue à Paris où sera réalisée en 1955, la 1ère opération à cœur ouvert. Devenu un chirurgien réputé, il accumule les titres et les honneurs : membre de l’Académie des Sciences, de Médecine, professeur à la faculté, président de l’Académie nationale de chirurgie, puis en 1892, c’est de la prestigieuse Association générale de Médecine de France qu’il devient Président, et cela jusqu’à sa mort. Il participe à de nombreux congrès nationaux et internationaux à Lausanne, Rome Londres, Le Caire, Moscou.  En 1900 à Paris il préside le grand congrès international de Médecine (10 000 participants).

Il cumule aussi les honneurs : officier de l’Instruction Publique, membre du Conseil d’Etat de l’Université, membre de l’Institut et en 1901, il sera fait commandeur de la Légion d’Honneur.

Il devient en même temps le médecin de nombreuses personnalités parisiennes, comme Gambetta, son ami. Il publiera, après sa mort « blessure et maladie de Gambetta » (lequel s’était blessé accidentellement en maniant une arme à feu) où il relate les derniers jours de son ami, chargé qu’il était de sa surveillance médicale. Gambetta meut à 44 ans peu de temps après la chute de son gouvernement, il décède auprès de sa maîtresse Léonie Léon d’une inflammation du péritoine jugée inopérable par le professeur Charcot (le père de l’explorateur) à la différence de Lannelongue qui préconisait l’intervention. Et c’est en tant qu’ami que le professeur Lannelongue va hériter d’un bras de Gambetta et de la main blessée, son corps va être embaumé au formol, une 1ère en France, et démembré : son unique œil va aller au musée de Cahors (en effet Gambetta était borgne, il avait perdu son œil droit à 11 ans, en regardant travailler un ouvrier coutelier, il avait reçu un éclat d’acier dans l’œil, son cœur est au Panthéon, son cerveau à l’Institut de Médecine et ses restes à Nice où sa famille avait déménagé. Ce fameux bras, arrivé à Castéra a disparu en 1910, il reste introuvable malgré les efforts de Jacques Lapart, où donc est-il passé ?

Il soigne le gotha de l’époque, il opère Sarah Bernhard et devient le médecin d’hommes politiques en vue comme Sadi Carnot, ancien Président de la République, Fallières et Poincaré, futurs Présidents ou Madame Thiers. Il est aussi appelé n consultation à la cour de Russie pour soigner le tsarévitch hémophile.  Et cet en tant que médecin officiel du Président de la République qu’il est appelé, en 1899 au chevet de Félix Faure qu’il avait rencontré chez Gambetta. Ils partageaient le même âge, 55 ans, les mêmes opinions républicaines et la même affection pour la Normandie (Félix Faure étant du Havre). Il va être victime d’une hémorragie cérébrale foudroyante en 1899 dans des circonstances qui font la joie des journaux et qui vaudront à Marguerite Steinheil, (fille d’une riche famille d’industriels, les Japy) alias « Meg » le surnom de « pompe funèbre » de « Pompadour de Vaugirard »ou de « veuve rouge ».

Une carrière politique locale et nationale : très attaché à ses origines gersoises (à Paris il est le Président de la société amicale des Gascons du Gers, « la garbure ») et habitant par intermittence à Castéra où il revient tous les ans, il fait construire une grande et belle maison au centre-ville avec, sur la porte d’entrée un monogramme « OML ». Odilon se présente à la mairie où il est élu en 1878, il sera réélu à plusieurs reprises, 6. Il contribue à l’édification d’un nouveau groupe scolaire en 1906 qui porte son nom, c’est à lui que Castéra doit sa gare inaugurée en 1909, comme la création d’un corps de sapeurs-pompiers. Marie quant à elle, offre à l’église 2 lustres. A la mort de son maire, la commune bénéficiera de nombreux legs qui permettent de financer des travaux d’adduction d’eau, d’électrification et aussi  d’édification de la halle d’améliorations des thermes. La paix revenue en 18, la fondation Lannelongue permettra la réouverture des thermes et leur entretien pendant 3 ans, sans oublier son rôle de mécène temporaire pour les fouilles de la villa de Séviac.

Ce républicain convaincu se lance dans sa 1ère campagne électorale pour le poste de député de l’arrondissement de Condom en 1879. Le département est alors favorable au bonapartisme et Cassagnac l’emporte, en 1881, après une campagne commune avec « Lannes tout court » qui vise la députation de Mirande, « Lanne  longue » échoue face à l’avocat bonapartiste Daynaud. Il se met en retrait de la politique, mais en 1893, il rempile pour une 3ème campagne législative dont il sort victorieux dès le 1er tour, au titre de député républicain, tenant de la gauche radicale avec 2 fois plus de voix que son adversaire. En congé de son service hospitalier et de ses fonctions professorales, il rejoint le Parlement où pour la 1ère fois, le socialisme devient une force parlementaire. A l’assemblée, il plaide en faveur de la santé publique, dénonçant l’alcoolisme lié aux « alcools industriels » comme l’absinthe par opposition aux « alcools naturels » que sont le vin, le cidre ou la bière.

En 1898, il ne renouvelle pas sa candidature, il doit préparer le Congrès médical de Paris en 1900, en même temps que l’Exposition Universelle. Il revient alors à la chirurgie infantile à l’hôpital des Enfants Malades où il prend la retraite en 1908.

En 1906, le voilà élu sénateur du Gers, toujours dans le même groupe politique en même temps qu’Armand Fallières est proclamé Président de la République, c’est son ami intime, son voisin aussi. Cet avocat de Nérac, né à Mézin où il aime à s’occuper de ses vignes.

Au Sénat, inquiet de la dépopulation de la France, Lannelongue propose un plan pour lutter contre. 1906 c’est aussi l’année de la disparition de sa femme. Ses funérailles parisiennes attirent du « beau monde » des Présidents anciens ou futurs comme C .Périer, R. Poincaré, Deschanel, des hommes d’affaires comme les Pereire et de nombreux représentants de la noblesse. Elle sera inhumée à Castéra avec ses beaux-parents.

Un voyageur intrépide : le décès de Marie l’affecte beaucoup. Il se décrit comme « septuagénaire, un peu malade (il est diabétique) et surmené ». Le couple, qui n’a pas eu d’enfant, aime voyager. C’est à Rome qu’ils vont en voyage de noces, ils y seront reçus par le pape en audience particulière. D’Italie, de Venise surtout, ils ramènent meubles, tissus, lampadaires, tableaux… pour leur hôtel particulier à Paris. A Londres ils sont les invités officiels du jubilé de la reine Victoria qui fête ses 50 ans de règne.

Après le décès subit de sa femme Odilon préfère s’éloigner de la France déchirée par l’affaire Dreyfus (le « j’accuse » date de1898) et par les querelles liées à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il entreprend un tour d’Asie, puis un tour du monde en 1908 qu’il effectue avec sa nièce de 19 ans, Marie qui est venue à Paris habiter chez lui. Voyage qu’il a préparé avec l’aide d’une nouvelle agence de voyages, l’agence Cook. Ce goût des voyages est dans l’air du temps, en effet nous sommes dans la période de l’expansion coloniale européenne, la France devient alors une puissance d’Extrême Orient avec l’occupation de la péninsule indochinoise et une puissance africaine avec, après l’Algérie, la mainmise sur la Tunisie, Madagascar et ce qui va devenir l’AOF.

A la suite de son tour du monde qui a duré, non 90 jours comme celui de Jules Verne de 1873, mais 270 jours et qui lui a permis de rencontrer entr’autres l’empereur du Japon et de visiter Angkor, Hanoï, la Chine où il mangera avec des « bâtons » et déplorera la coutume des pieds bandés des Chinoises. Il traverse le Pacifique, va au Canada et aux USA.

Il en ramènera des œuvres d’art et des graines de cyprès chauve qui agrémentent de nos jours le parc Lannelongue à Castéra. A son retour il publiera chez Larousse « Un tour du monde » illustré d’une centaine de photos.

Fatigué, le professeur, gros mangeur et gros fumeur, contracte une pneumonie qui lui sera fatale. Il meurt dans son sommeil le 22 décembre 1911.

C’est en 1911 qu’il effectue son dernier voyage, en direction de Castéra.  Après sa mort, sa dépouille est ramenée en train dans son village natal où 2000 personnes lui rendront un dernier hommage. Il sera inhumé au cimetière dans un mausolée aux côtés de sa femme, sans fleurs ni discours selon ses vœux et ses archives personnelles seront brûlées 3 jour durant.

Un héritage malmené : sans descendance directe, ses 2 nièces, Marie et Laure et de nombreux neveux de sa femme, héritent de la fortune du couple. ( Laure n’a pas eu d’enfant, Marie, épouse d’un banquier agenais Emile Guilhot, héritier de la plus grosse banque de la région avec, notamment des antennes à Auch et à Condom, banque spécialisée dans les prêts agricoles, rachetée à la fin des années 50 par la BNP, a eu 2 filles). Ils récupèreront les collections de Marie et Odilon.

Quant à la maison de Castéra, le professeur avait décidé de la léguer à l’Etat pour en faire un musée « d’enseignement et d’éducation populaires dans lequel toutes les grandes époques de l’art seraient représentées chronologiquement depuis l’art chaldéen et assyrien jusqu’aux compositions modernes les plus belles et les plus hardies ». Le musée regroupe les œuvres provenant, outre celles de la maison de Castéra, de celles de Paris et de Valmont, tapisseries  des Gobelins, d’Aubusson, faïences, meubles rares, tableaux, photographies reproduisant tableaux et sculptures de toutes les époques. En 1920, la galerie du rez-de-chaussée, le salon des tapisseries et le salon japonais sont ouverts au public. La même année, sur la place de la mairie, un buste en bronze est édifié, Antonin Carles de Gimont en est l’auteur, il est aujourd’hui remplacé par un buste en béton après que le bronze ait été dérobé par les Allemands. Ce musée sera fermé à la mort de son conservateur en 1952. Le mobilier partira à la Préfecture, les faïences au musée d’Auch, et l’Etat rachètera les tapisseries qui représentent des épisodes de la ie de Don Quichotte d’après les cartons de Coypel (2 sont exposés dans le hall d’entrée de la Préfecture). En 1986, la maison et le parc seront rachetés par la mairie pour 40 millions de centimes et une vente aux enchères dispersera les collections composées de 131 pièces pour 5 millions de franc. La mairie acquiert les portraits du couple installés dans la salle du conseil municipal. Il s’agit d’une toile de Roybet, peintre gardois qui le représente à sa table de travail, le portrait de Marie est du à Philippe Parrot. Aujourd’hui, la maison est devenue un casino, mais son souvenir et celui de sa femme sont toujours vivaces, de nombreuses rues et places portent son nom, dans le Gers à Castéra, Condom, Cazaubon. A Paris il y a une avenue Lannelongue, à Vannes une maison pour personnes âgées, l’hôpital de Plessis-Robinson  porte le nom  de Marie Lannelongue.

Mort à 71 ans, Odilon Lannelongue est ainsi le digne successeur d’une lignée de médecins gascons qui se sont illustrés au service des rois, comme Joseph Rollin d’Ayguetinte, médecin accoucheur et médecin de Louis XV, qui a écrit plusieurs ouvrages de gynécologie et obstétrique comme le « traité des affections vaporeuses du sexe » ou Jean Sénac de Lombez, son contemporain, lui aussi médecin de Louis XV et fondateur de la cardiologie française. Au XIXème siècle, aux côtés du professeur Lannelongue, on peut citer Jean Dupuy, né en 1851 à Augnax, médecin de la marine qui, après avoir voyagé en Asie et en Afrique est revenu dans son village dont il est devenu le maire. Quant à Emmanuel Labat de Gimbrède, né en 1853, précurseur de la médecine psycho somatique, il s’est intéressé à « l’âme paysanne » tout comme Auguste Cador, né à Fleurance 20 ans après Odilon, qui traduit en gascon l’Iliade et l’Odyssée et le Nouveau Testament et qui publie de nombreux contes, chants, proverbes et récits gascons. Si comme Odilon Lannelongue, ces médecins sont aussi des lettrés, aucun cependant n’a atteint son degré de notoriété, rappelons qu’il a rencontré le Pape, la reine  Victoria, le tsar Nicholas et l’empereur du Japon, et n’a été, comme lui un philanthrope et un généreux donateur, bref un « honnête homme » comme l’on disait au XVIIème siècle, un humaniste qui a su allier la science à la bonté. Son adversaire politique, Paul de Cassagnac, le qualifiera dans son journal La Voix du Peuple, le 30 décembre 1911, « de bienfaiteur de la commune et du plus illustre enfant du Gers ».

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