CAVAGLIERI : une conférence en virtuel!

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Bientôt, par de belles après-midi ensoleillées, nous reprendrons nos marches hebdomadaires…Peut-être suivrons-nous une nouvelle fois cet étroit chemin ombragé qui serpente au gré des méandres du Gers et conduit du vieux pont de Pavie à Peyloubère, cette magnifique demeure entourée d’arbres centenaires où le peintre Cavaglieri a vécu pendant 45 ans auprès de Giulietta et de sa fille adoptive Andrée.

Ne seriez-vous pas curieux de mieux connaître cet artiste ?

  Mario Cavaglieri,                                                                    un personnage fascinant, alerte, l’oeil vif, un brin provocateur, caustique et affectueux à la fois. Ce qui frappait chez cet homme petit et frêle, c’était le rayonnement de son visage et la sérénité qu’il dégageait. Toujours une anecdote savoureuse ou ironique à la bouche. Très volubile, il suivait son idée sans répondre aux questions qu’on lui posait. Un coeur naïf, une fraîcheur malicieuse d’enfant au comportement parfois surprenant lors de réceptions mondaines : il n’aimait pas le cercle d’invités, il arborait alors une inscription sommairement griffonnée sur un morceau de papier « Peux pas parler, j’ai la toux »…Message qu’il s’empressait d’arracher du revers de son veston lorsqu’il appréciait l’interlocuteur…

Il gardera un attachement indéfectible à sa ville natale, Rovigo dont le nom reste lié au destin de Cavaglieri, par la volonté expresse du peintre qui se proclamait  » de Rovigo », identité qu’il revendiquait jusqu’à faire graver un grand nombre de petites plaques de laiton pour personnaliser ses cadres avec la mention « Mario Cavaglieri de Rovigo ».

Il est né dans cette ville de Vénétie le 10 juillet 1887 au sein d’une riche famille juive de la bourgeoisie. Adolescent privilégié, il mène la vie confortable d’un jeune homme fortuné et s’oriente très tôt vers les expériences artistiques, abandonnant les études juridiques commencées à l’université de Padoue. Après des études aux Beaux-Arts, il expose dès l’âge de 20 ans des portraits et des paysages à la facture impressionniste et en 1910 participe à l’exposition internationale des Beaux-Arts à Rome où il connaît déjà de très brillants succès.

Très tôt ouvert à la culture française, en1911 il vient à Paris où il fait la connaissance de Giulietta Catellini de Grossi, sa muse. Après sa participation à l’exposition internationale d’art de la cité de Venise en 1912, commence en 1913, la période la plus importante de Cavaglieri, celle des « années brillantes ». Brillantes, aussi bien par la signification des toiles où se libère la fougue du peintre, par l’extraordinaire maîtrise qu’il acquiert que par l’écho unanime qu’elles suscitent dans le public et la critique.

C’est une période d’intense activité mondaine et artistique avec des oeuvres de grand format, sur toile, une technique vigoureuse, mouvementée et une source d’inspiration prise le plus souvent dans la peinture d’une société décadente. Cavaglieri passait sa vie sur sa riche palette : il peignait l’univers de son temps, cette aristocratie devenue désuète qui connut ses beaux jours dans les années 1900, ces bourgeois raffinés dans les fêtes italiennes, monde de dilettantes et des épicuriens qui peuplait les salons des réunions mondaines.

Il présente ses toiles à de multiples expositions nationales, Naples, Venise, Milan, Rome et internationales, Munich et Turin. Il travaille avec fureur, écrasant les tubes sur la toile en touches épaisses et grasses. Il saisit le chatoiement d’une étoffe, un reflet de candélabre d’argent, rendant palpables les lourdes broderies et les fines dentelles, le sourd éclat des objets accumulés sur la table. Dans toutes ses toiles, se retrouve cet amour du détail maintes fois répété : riches marqueteries, papiers peints du début du siècle, lustres, miroirs…Le vénitien Cavaglieri surcharge son univers raffiné formé de bibelots précieux, s’attarde à la peinture de beaux objets pour de somptueuses natures mortes baignées de couleurs chatoyantes.  Mais, plus que tout, le jeu de lumière lui plaît, cette lumière qui crée l’atmosphère de ces rencontres nocturnes où évoluent somptueusement vêtus d’élégantes coquettes et de riches oisifs.

Cavaglieri a une façon bien typique de traduire son goût de la beauté féminine. Au milieu d’un cadre alourdi d’objets aux touches épaisses, apparaît le visage de la femme, net et lisse. L’artiste peint délicatement la peau féminine, visage et bras nus, épaules tracées d’un pinceau sûr, dans de grandes toiles travaillées en pleine pâte, somptueuses, et d’une richesse de coloris superbe. Le beau visage de Giulietta revient en leitmotiv…. Malgré l’opposition des parents, le peintre continue à la voir régulièrement.En 1921, il pourra enfin épouser Giulietta devenue veuve du Comte Marazzani-Visconti. Ils s’installent à Plaisance, dans son bel intérieur, dans son cadre de vie personnel. Ils voyagent souvent en Allemagne, au Tyrol, en Italie, et en 1925 un voyage en France les conduit à Peyloubère.

Rien ne laissait prévoir l’installation de Cavaglieri en France. Il allait y vivre sans jamais oublier son pays dont il avait fidèlement gardé la nationalité. Il n’a jamais donné l’explication de cet exil volontaire. Toutes les hypothèses se bousculent que ce soit d’ordre personnel, familial ou social au moment où règne le fascisme triomphant même sur les milieux artistiques en imposant ses conceptions y compris dans les sujets des oeuvres, ou un simple désir de changer d’environnement. Le ciel lumineux du Sud-Ouest lui rappelait-il celui celui de Venise ou Florence ? Cet habitué des salons mondains qui ne vivait que la nuit dans une ambiance frelatée, a-t-il été séduit par le calme paisible de cette belle propriété où il aménage à la grande stupeur de son entourage et de la critique italienne ?

1925 scinde en deux la vie et l’oeuvre du peintre. A la période italienne depuis les premières années du siècle, et surtout depuis 1906, succédera la période française avec des sujets différents. Aux peintures d’une société italienne élégante, vont se succéder des toiles de plein air, des scènes plus rustiques. Sa peinture sort des salons, des intérieurs bourgeois calfeutrés, capitonnés où se meuvent des hommes mondains et des femmes élégantes et belles pour découvrir un univers plus large, plus naturel, celui d’une campagne travaillée par les hommes. A Peyloubère, Cavaglieri s’intéresse aux travaux des champs et en fait de rapides croquis, de même que des gens simples en action. Curieux de tout, attentif aux saisons, aux couleurs, il dessine et peint tous les jours : en plein air, s’il fait beau, à l’intérieur par mauvais temps car il est très frileux, et puis, il le dit « la pluie, il n’aime pas ça. » Mais la technique du peintre reste identique : que ce soit en Italie, à Peyloubère ou à Paris, Cavaglieri aborde le support avec netteté et force. Son dessin est ferme et sûr, même lorsqu’il retrace la délicatesse d’un visage, le modelé d’un corps, la sérénité d’un paysage.

Dès son arrivée en France, il participe à son premier salon à Paris. Commence alors une vie de gentilhomme campagnard au milieu d’un brillant cercle d’amis, attirés par son renom,  la grande beauté et la superbe élégance de « Juliette » qui a francisé son prénom.

Dans sa nouvelle demeure, il peint de vastes fresques mythologiques. Leur éclat et leur colorisme vibrant, parfois baroque, rehaussent plafonds, murs de salles de bains, couloirs ; le peintre décore les portes de ses armoires à la manière vénitienne.Ce labeur de Mario sera couronné en 1996 : son oeuvre sera reconnue « patrimoine artistique » et sera protégée des atteintes du temps. Classé monument historique, Peyloubère garde les émois d’un artiste puissant.

Dès 1926, le peintre participe à tous les grands salons parisiens. En 1932, il expose pour la première fois au 23iéme salon des artistes méridionaux à Toulouse où son arrivée est signalée par les critiques. Présent dans les expositions jusqu’en 1939, il présentera des oeuvres faites en Italie, mais essentiellement des toiles françaises.

 

En 1940, s’achève pour Cavaglieri la période insouciante et heureuse d’un peintre en liberté. Lorsque la guerre éclate, le 10 juin 1940 entre l’Italie et la France, il est atterré : lui qui se croyait intégré dans la société française, hôte généreux et recherché, voit ses « amis » se détourner de lui, redevient l’étranger. Avec Juliette, il repart en Italie, à Gênes. En 1942, il expose quand même à Paris et à Toulouse, au musée des Augustins.

Inquiété par sa double qualité d’Italien et de juif, le 8 janvier 1943, il se résout à repartir, seul, en Italie et s’installe à Bologne. Il ne rentrera en France qu’en janvier 1946 après trois ans d’errance au milieu de la tourmente qui le ballotte sur les routes de son propre pays, fuyant les rafles au cours desquelles sa famille sera décimée. L’émouvante inscription sur son auto-portrait du 27 décembre 1944 traduit la tristesse de l’homme ulcéré, seul, déçu, malheureux : « Esule, peregrino, infelice »…

 

8 Janvier 1946 ! Retour en France ! Un second souffle et « le désir de durer. « Cavaglieri ne pense plus qu’à peindre et, de nouveau, participe à toutes les manifestations. Limoges, Paris, Gênes, Milan, Venise, Rome. Cédant à l’attraction croissante de la vie culturelle de Paris, à partir de 1954 et jusqu’en 1966, il s’installe pendant l’hiver dans son appartement sur la Butte Montmartre. Il peint Paris sous tous ses aspects, cafés, rue de Montmartre, musées où il plante son chevalet ; il y retrouve les intérieurs somptueux qui avaient sa prédilection dans les palais vénitiens. Mais,c’est surtout la Seine qui le fascine. Et il peint installé tout en haut de grands immeubles ou sur les quais. L’exposition de Milan, en 1958, sera le point d’orgue de cette période très active.

Le peintre rentre maintenant dans  » la période de sérénité », la plus belle phase de sa longue vie d’artiste, la plus complètement désintéressée, bien qu’il ait toujours réellement affiché le même mépris des contingences matérielles. Une seule date, 1967,  viendra bouleverser sa quiétude, avec la grande rétrospective de  « l’Arte Moderna » à Florence où les critiques s’accorderont à parler de  « la révélation de Cavaglieri ». En France aucun écho ne paraît dans la presse. Seuls, les familiers de Peyloubère sauront que Mario a reçu la récompense suprême du « Lys d’Or »…..

Il partagera désormais son temps entre peinture, dessin surtout et lecture, des livres d’art et de philosophie. Dès qu’on aborde  cette période, on est frappé par l’impression que donne Cavaglieri comme enivré par une soudaine liberté. Infatigable, il dessine et peint avec une ferveur toujours renouvelée. A Peyloubère, son regard se pose partout sur la campagne et le vaste domaine est prétexte à de longues promenades. Attentif à l’arabesque des arbres, il observe les cyprès dans la lumière des coteaux gascons. Il suit le mouvement de la brise dans les peupliers dont les silhouettes légèrement courbées se détachent sur un ciel bleu où courent quelques nuages blancs. Sensible à la ligne ondulée des collines et à l’harmonie de la campagne baignée par une lumière légère et dorée, il regarde le petit pont, les bâtiments de ferme.. Le soir, le bruit de l’eau du moulin sur le Gers et celui de la petite cascade aux rubans argentés visible de sa fenêtre devient un chant familier apaisant et frais.

 

Juliette reste le modèle préféré. Inlassable, elle pose à l’intérieur ou en plein air. La composition la plus audacieuse du peintre est la « Vénus de Peyloubère ». Sur la terrasse, Juliette est allongée nue, sur un lit de repos, avec au loin, les frondaisons et les cèdres du Liban de l’entrée. Une atmosphère raffinée sert de cadre à la nudité insolente de sa femme pour la première fois aussi clairement affirmée.

De temps en temps, il s’installe pour peindre un intérieur, salon ou chambre. Dans « un coin de chambre vénitienne » on retrouve un moment de vie. Son pinceau s’attarde sur les détails précieux.

Quelquefois, il va à Auch, peindre une rue de la ville. « Auch, la place en Juillet ». En début d’après-midi, il s’installe sur la petite place devant la Halle aux Grains. Indifférent aux curieux qui l’entourent, il concentre son attention sur la rue Gambetta.

On retrouve les témoignages de la vie à Peyloubère dans des toiles pleines d’allégresse, travaillées en pleine pâte, somptueuses, avec une richesse de coloris surprenante ou en demi-teintes. Des hymnes à la vie !

C’est aussi de la rencontre avec Peyloubère que sont nés les dessins les plus expressifs, les plus sensibles. Le dessin est interprété comme l’expression profonde de la personnalité réelle du peintre qui s’y révèle comme un écrivain dans ses lettres intimes. Cavaglieri ajoute en marge de ses dessins quelques annotations révélatrices de son caractère et de sa qualité d’observation à la fois pointue et ironique..Sur un angle d’un délicat dessin d’une amie toulousaine, on peut lire, « il faudra la rendre muette »… Il ne peut s’empêcher d’avouer le peu d’intérêt qu’il trouve à une réunion mondaine « Quel ennui »….ou de préciser « Un vilain modèle »…

Il dessine de minuscules croquis de personnages, faits à la sauvette, s’exprime en quelques lignes, en quelques traits avec une touche rapide d’ombre au crayon, au stylo à bille ou à l’encre. Peu soucieux de s’encombrer d’un carnet, il se promène librement en ville, les mains dans le dos…Mais qu’un sujet intéressant se présente, il extirpe de ses poches quelque carton d’invitation ou un programme, le plie et peut ainsi croquer le clochard sur le banc, la silhouette d’une drôle de dame ou un pan de mur délabré….

Le 22 Septembre 1969, selon son habitude quotidienne, le peintre commence un dessin. Quand il a assez travaillé, il range son matériel en disant : « Je continuerai demain ». Cavaglieri ne terminera pas son ébauche. Il s’est éteint paisiblement dans la nuit, une mort discrète, dans le calme, à son image, lui qui avait choisi de vivre à l’écart.

Dans sa peinture comme dans la vie, le peintre, considéré comme « le plus français des peintres italiens », est resté fidèle à ses convictions se voulant par dessus tout un artiste. Il a toujours fait preuve d’une grande modestie dans la pratique journalière de sa peinture. Cavaglieri ne pouvait pas vivre sans peindre. Mise à part sa participation aux salons annuels, il ne songe nullement à travailler pour montrer ses oeuvres ; il peint seulement parce qu’il faut peindre, laissant au temps futur le soin de décider de l’existence publique et critique de son oeuvre.Il a fait de sa peinture un moyen d’exister, d’être lui-même dans la plénitude de sa personnalité

En 1972, l’hommage posthume rendu à Rome a marqué la lente remontée du peintre que la grande retrospective en 1974 au musée des Augustins de Toulouse, décidée du vivant de l’artiste, a confirmée.

De 1972 à 1994,de nombreux hommages posthumes lui seront rendus à Rome, Toulouse, Rovigo, Plaisance, Albi, Verone, New York et Auch en2000.

CH D

 

5 Responses

  1. Danielle Preud'homme

    Merci pour ce « tour complet » de l’homme et de son oeuvre. J’ai pu le croiser, enfant, se promenant dans la campagne, exactement comme décrit dans ce bel hommage. Je ne l’ai réellement découvert qu’en 1974 aux Augustins à Toulouse. Toute la force d’une révélation pour moi, quant à sa peinture.
    Très belle expo virtuelle aujourd’hui.

  2. Irac Delphine

    Merci beaucoup de ce portrait complet et très intime de ce peintre . Savez -vous ce qu’est devenue Andrée et s’il a des descendants ? Merci beaucoup DIrac

  3. Le raton

    Voilà une présentation très complète de Mario Cavaglieri. A travers ses oeuvres on découvre sa vie d’homme et tout son parcours d’artiste au début du XXe siècle. Derrière ce magnifique portrait on devine une connaissance toute particulière du personnage dans toute son humanité.

  4. CB

    Voilà une occasion rêvée de nous changer les idées ! La visite est nourrie de commentaires instructifs pour une immersion dans le quotidien de l’artiste et du lien qu’il entretenait avec ses résidences successives.
    Merci à l’auteur et à la technologie qui donnent à voir les plus belles oeuvres, à un moment où les musées sont à éviter. Ce « tour privé » est une bien jolie réussite.

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